mercredi 30 septembre 2009

« Au lieu de se discipliner (…) la danse poursuit lamentablement sa chute vers la médiocrité »


L’Avenir : Voulez-vous vous présenter aux lecteurs de l’Avenir ?
José Bau : Je vous remercie pour cette possibilité que vous m’accordez, en vue de partager mon point de vue sur ce sujet. Je suis José BAU DIYABANZA, animateur culturel. J’ai une licence en animation culturelle et développement du prestigieux Institut National des Arts (INA/Kinshasa). Je suis dramaturge et Commissaire Général du théâtre pour le développement, l’Atelier-Théâtr’Actions « ATA », installé à Kimbanseke. Cette troupe s’occupe des animations, des formations et des recherches. Nous avons une Bibliothèque Communautaire et un Centre d’initiation aux Nouvelles Technologies de la Communication. Je dirige la Fédération Congolaise d’Improvisation. Je travaille comme animateur culturel au Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa.
Pouvez-vous affirmer que l’évolution de ce domaine artistique qu’est la danse répond à vos attentes ?
Malheureusement non ! La danse est un art comme la peinture, la coiffure, la photographie ou le cinéma. C’est une partie de la vie et détermine la grandeur d’une culture ou d’une civilisation. Certains chorégraphes continuent de faire son honneur, comme Longa Fo, Lisette Nsimba, Léa Ndumba, Les Diba Danse, David Kawama, Jacques Bana, Faustin Linyekula et son Studio Kabako, Djodjo Kazadi, Papy Ebotani ou Lambio Lambio. Nous parlerons de l’évolution si nous nous fixons une période donnée. Actuellement notre danse (ndombolo) est en perdition, par rapport aux autres expressions artistiques. Au lieu de se discipliner, en vue de réguler la musique, la danse poursuit lamentablement sa chute vers la médiocrité. Tout remonte vers la fin des années quatre vingt lors de l’invasion de notre ndombolo et l’uniformisation des pas de danse pour tout les orchestres.
Nous risquons de donner raison aux conclusions du philosophe Kangafu Vingi qui déclarait dans « Libérer la culture » que la culture actuelle est tirée chez des voyous, elle est faite par des voyous, pour être consommée par des voyous ». Au lieu de plaire et d’utiliser le corps entier, la danse se limite au bas du nombril, en exagérant sur l’exhibition des parties intimes. Son créateur n’est plus un modèle.

- L’Avenir : Que reprochez-vous à ceux et celle qui exercent la danse comme gagne-pain à Kinshasa ?
José Bau : C’est encourageant d’avoir des personnes qui croient qu’elles peuvent vivre de la danse, comme profession. Mais c’est décevant de constater que beaucoup d’entre elles ne veulent pas être conséquentes de leur responsabilité. La danse est le seul art où le recours au comptage est plus important. Donc elle est soumise à une loi exigeante. Elle ne se fait pas au hasard ; mais elle s’apprend et exige une concentration. Que les danseurs se souviennent qu’ils ont un pouvoir convaincant. Pratiquer la danse sans costume approprié la détériore et l’avilit.

- L’Av : Comment réagissez-vous quand des leaders d’orchestres et des télévisions locales proposent au public des danseuses à moitié vêtues et exhibant des danses parfois obscènes ?
La danse n’est pas mauvaise, les ténues légères ne seront pas nuisibles si les télévisions et les chorégraphes nous proposaient aussi autres choses. Notre nation regorge plus de quatre cent cinquante orientations culturelles. Ce ne sont pas des sources d’inspiration qui manquent, mais c’est leur maîtrise qui pose problème. La danse devrait être orientée selon les circonstances et les lieux de diffusion. La danse qui accompagne la sortie des jumeaux, les obsèques d’un chef, la fin d’une circoncision ou de l’initiation des jeunes adultes, est souvent très obscène, mais n’est pas accessible à tous. Les réalisations de Cultura Pays Vie de Félix Wazekwa, Zaïko Langa Langa ou Tabu Ley Rochereau ne sont pas mal présentées. Le grand problème est la formation de la population à consommer la culture avec honneur. L’Etat a, pour ce faire, le devoir de donner la bonne culture à son peuple.
Certains parents craignent pour leurs filles d’œuvrer comme danseuses, estimant que cela est une porte ouverte à la prostitution. Qu’en pensez-vous ?
La danse n’est pas une piste menant vers la prostitution, mais elle expose son pratiquant à une masse incontrôlée. Les parents qui craignent de leurs filles n’ont pas raison. Aucune profession n’est actuellement exclue de cette prise. De la bureaucratie au marché, de l’université à l’hôpital, les filles restent exposées. Tout dépend de l’éducation de base reçue, de sa discipline et de l’honneur personnel.

Croyez-vous que dans le contexte de la mondialisation, il y ait lieu d’envisager la réhabilitation de la danse en RD Congo comme valeur culturelle ?
Il y a la loi du donner et du recevoir qui domine ici. Pour envisager une réhabilitation de la danse en RD-Congo, nous devons avoir le courage d’accepter notre faiblesse et nos limites. Nos éminents chorégraphes excellent sur des podiums internationaux, pendant que sortir du pays pour le représenter à l’extérieur est devenu presque impossible, à cause notamment des multiples mesures de restrictions en vigueur.
Ce sont les chefs d’orchestres et leurs chorégraphes qui doivent se positionner. En RD Congo, la danse souffre de l’amateurisme et de l’improvisation, du manque d’appui officiel et de cadre logique. Pourtant, elle (la danse) doit se confirmer, se préparer à s’exporter et accorder une place aux échanges. Nous avons l’INA et son Centre de recherche le CEDAR qui devraient écrire et normaliser notre danse, mais cet institut supérieur n’a même plus de bâtiments. L’Etat est obligé de lui donner des possibilités et des facilités d’accomplir ses missions. Au regard de cet imbroglio, il y a lieu de se demander : Dans la vie courante, quelle place les Congolais accordent-ils aux professionnels des arts du spectacle et aux animateurs culturels formés à l’INA ?
Qu’attendez-vous, de ce fait, du ministère de la Culture et des Arts et de l’INA, en tant qu’école de danses ?
Le rôle du pouvoir de tutelle est important dans l’amélioration de l’image de la danseuse dans les médias congolais. Le Ministère de la Culture a compétence d’interdire ou de féliciter, par décret, les mauvaises ou les bonnes pratiques. Il doit ouvrir l’œil et le bon pour donner des moyens d’expression aux chorégraphes formés. Il n’y a jamais eu de subvention dans le secteur de l’art en RD Congo ; mais coloré de contraintes et d’obligations. Les artistes sont seuls et se battent comme des orphelins. Pour produire, ils recourent souvent à leurs relations. Ils n’ont rien à rendre à l’officiel. Que les services de régulation des médias aussi se responsabilisent ! Nous avons la chance d’avoir une institution comme l’INA en RD Congo. Il doit continuer à former et à organiser des sessions de courte durée, pour la mise à niveau des chorégraphes. Il doit servir de conseiller au Ministère de la Culture et aux médias, pour la promotion et la diffusion de la danse.
Le gouvernement, voilà trois mois, a rendu hommage à Me Taureau pour une éclatante carrière d’une soixantaine d’années d’organisateur de spectacles et de manifestations populaires. L’homme est âgé de 87 ans, Il a un passé marquant de maître danseur. Un commentaire de votre part ?
L’hommage rendu à Maître Taureaux est louable, mais ne correspond pas à son rang. Il est l’image de ceux qui ont marqué notre art par son engagement à la cause de la jeunesse. Il est un monument à respecter. « Quand tu ne veux pas aller avec l’albinos qui connaît le chemin qui mène à la rivière, tu n’auras jamais de l’eau », dit un adage. Comme pour d’autres grands de la culture congolaise : le plasticien Lufwa, Mongita, Tshitenge N’Sana, Ana Kayembe ou Maboke Ngaliema, l’Etat devrait construire de grandes salles de spectacles en leur honneur.
Rendons à notre population une bonne danse, elle est là. Cet effort doit être soutenu. Que chacun, en ce qui le concerne, s’efforce d’apprendre. Que l’Etat revoie la mission de l’école en socialisant celle-ci. Que la danse soit enseignée comme une expression d’une société ordonnée, pour bâtir un pays plus beau qu’avant. Nous regrettons beaucoup, car les personnes actuelles marchent la tête en bas, les jambes en haut. L’impression qui s’en dégage est que le ridicule ne tue plus chez nous.
Propos recueillis par Payne

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